Mon projet de recherche-création consiste en une production d’autoportraits photographiques qui interrogent la manière dont le selfie crée un nouveau regard identitaire à l’ère de l’omniprésence des écrans. Je m’inspire de l’esthétique des médias sociaux, du cinéma, de la peinture, de mon passé dans le milieu académique en philosophie et aussi du féminisme, afin de synthétiser mes questionnements sur le dispositif qu’est le cellulaire au sein d’une exposition d’images de soi numériques que je nomme métaselfies.

Je me laisse aller à l’achat compulsif, tout en étant consciente de cette incohérence à encourager un capitalisme sale et immoral. Le comédien multitalentueux Bo Burnham exprime d’ailleurs ce malaise dans son spécial Netflix intitulé « Inside », un autoportrait vidéographique qui présente des thèmes caractéristiques des préoccupations millenials, comme notre relation avec les médias sociaux, le capitalisme, la performativité en ligne, la culture woke, et la crise écologique.

Mon projet est un examen de soi que je donne à voir, celui de mon rapport fusionnel aux écrans, de mon rapport avec une histoire qui a oublié les femmes, de mon rapport paradoxal avec une philosophie minée du patriarcat mais qui en même temps me donne les outils de pour la critiquer, de ma découverte de l'art, de la photographie, de son étude, du rejet de certaines conventions, de l'acceptation d'autres, et surtout du partage de ce mouvement intime de la transformation, de celle qui m'apprend à être artiste à mesure que je crée.

Récemment, j’ai commencé à inclure la présence de l’autre : iel tient le flash, me donne des idées, documente mon processus. Rien n’est véritablement mis en scène. Je me déplace dans leurs espaces intimes, que ce soit maison, atelier, chalet, et c’est le cadrage et l’ajout du lumière qui fait la composition de l’image.

J’utilise l’ironie dont fait preuve Socrate : je déstabilise la personne spectatrice par une forme de séduction visuelle pour la rendre plus vulnérable à sa propre remise en question. Pour mobiliser cette intention, j’utilise une esthétique kitsch – c’est-à-dire « l’imitation, l’exubérance, l’expérience immersive et sensorielle à travers le cumul des matières, des textures et des couleurs » et des titres à l’humour grinçant qui rappellent la viralité du mème.

Depuis la pandémie, le temps que j’ai passé sur les réseaux sociaux a drastiquement augmenté. Ça m’a permis de développer une nouvelle relation avec mon iPhone et mon appareil photo. Mon cellulaire apparaît dans tous mes autoportraits. Alors que certains pourraient y voir une critique, c’est en fait mon processus de prise de vue que je donne à voir : il est mon moniteur et le déclencheur de ma caméra. L’image commence et termine dans mon téléphone.

Cette technique permet un contrôle total de l’image finale, puisque je peux exactement positionner mon corps en temps réel et me voir être mon propre modèle. Le regard que je porte vers la caméra est en fait le seul instant où je donne à voir le travail que je suis en train de faire.

Je repense souvent à cette citation de Bertrand Naivin, artiste et penseur : « Le selfie serait à l’autoportrait ce que le parler est à l’écrire. (…) Il est en ce sens initiateur de discussion et non un discours finalisé comme pourrait l’être un autoportrait ‘’fini’’ ». Mon travail adopte avec finesse cette posture du doute, plutôt que celle du militantisme. À mon sens, le véritable dialogue doit se passer dans le désir de connaître, et non dans le souhait d’avoir raison. Donc ce qui m’intéresse, c’est le potentiel pédagogique de la séduction.

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Mon passé de professeure de philosophie inspire ma pratique artistique. Je m’intéresse depuis plusieurs années à Socrate et à sa méthode. Pierre Hadot, philologue spécialiste de période hellénistique, revisite la figure de Socrate et propose de le comprendre comme un Éros. Éros, le désir, serait ce qui nous permet de réaliser le manque qui nous habite puis qui nous propulse vers la recherche de ce qui pourrait le combler. C’est la raison pour laquelle nous désirons connaître : réaliser son ignorance c’est vouloir y remédier.

Ces derniers sont composés de plusieurs couches de sens : ce que donnent à voir le costume, les accessoires, le lieu, les couleurs, ce que symbolisent culturellement ces éléments matériels, et l’espace réflexif qui naît entre le regard de la personne spectatrice et le mien, toujours dirigé vers la caméra. Ce dernier permet une ouverture dans la lecture de l’image, qui engage l’autre à y projeter une interprétation. 

L’artiste Benoît Paillé m’a aussi beaucoup influencée, tant par l’usage de la lumière mixte du flash coloré et de la lumière ambiante que par son processus de création minimaliste, qui consiste à travailler avec le moins d’équipement possible pour produire une image la plus impossible possible.

Mon processus est aussi dépendant de longues heures passées à magasiner sur Amazon et AliExpress. J’y cherche des combinaisons moulantes et des accessoires, et les bas prix et la rapidité de livraison sont mes critères principaux. Ces combinaisons deviennent ma deuxième peau et me permettent d’entrer dans un jeu symbolique de la représentation.