La pensée-migratoire 

Le dessin a un rôle bien précis dans ma pratique, il est le vecteur du paysage de ma pensée ou, pour reprendre les mots de Michel Collot, « la pensée-paysage ». Le dessin est un médium qui peut se retrouver dans un entre-deux intéressant; c’est-à-dire entre l’"oeuvre" et le "croquis". C'est cette juxtaposition d'idées que je trouve particulièrement étonnante. Dans mon cas, mes dessins demandent une certaine discipline, alors que le "croquis" est, habituellement, effectué de manière plus spontanée. Ce type de jeu s'installe dans ma pratique; il y a des éléments qui prennent plus de temps à réaliser, alors que d'autres sont davantages expressifs et naïfs. J'essaie de démontrer que le dessin a cette tension temporelle et que cette tension amène le spectateur dans un état d'esprit-penseur, contemplatif, sensible et réflexif.




Je souhaite aussi évoquer la névrose que l’acte même de dessiner me permet d’exprimer. Étant aux prises avec l'anxiété généralisée, c’est dans cette optique que j’y vois l’opportunité de faire des échos entre l’acte de dessiner et le "monde intérieur". Je tente, à travers des métaphores, de représenter une expérience de l’intériorité, ce moment où le moi surgit à l’intérieur du monde par le simple fait de l’habiter et qu’il devient, simultanément, la demeure du monde. Ici, la « maison » devient, un agent qui revient souvent dans mes dessins, représentant un archétype de la notion même d’habiter. Cette idée développée par Gaston Bachelard renvoie à l’expérience de demeurer, soit la capacité que l’on a d’être le même à travers le temps. Comment pouvons-nous être le même à travers le temps? En habitant les choses, c’est-à-dire en les vivants de l’intérieur. L'anxiété devient la passerelle entre la poétique derrière l'expérience introspective et la pratique du dessin.

 

 

I feel like my feelings are stuck in the basement

Voici le texte intégral de ma méta-oeuvre (une vidéo expérimentale), qui se retrouve plus bas, réalisée dans le cadre du cours de méthodologie de la recherche dans le programme de maîtrise en arts visuels et médiatiques à l'UQAM.
Hiver 2019
Val-Morin, dans les Hautes-Laurentides.


Il y a beaucoup de neige cette année.

Il fait quand même froid aujourd’hui en plus.

C’est drôle de faire cela, c’est fou, je me suis acheté un drone! 

Le bruit intérieur diminue ici, ça allège. 

Là, c’est juste le bruit du drone, l’intrus.

Je ne sais pas trop ce que je fais.

C’est un peu ma première expérience avec la vidéo.

Ça me rend anxieux comme travail.

J’suis bien ici.

L’hiver est la saison qui m’a toujours été la plus fascinante.

Le changement de lumière, le tapis blanc qui recouvre toutes les surfaces, le monde froid, le monde des vivants qui entre avec celui des morts. 

Il y a une richesse incomparable. 

L’Hiver est pour moi un souvenir maternelle, doux et restera toujours une partie de moi, de mon identité.

L’Hiver nous force à ralentir, à se regarder non pas avec les yeux, mais avec son âme, sur le paysage du cosmos qui nous habite.

J’aime ça retrouver les montagnes enneigés et m’y imaginer dedans.
Comme une grande épopée, une expédition, à la conquête de soi.

Alors que la plupart de mes amis rêve à l’été, je rêve de l’hiver.

Il est si doux de rentrer dans la maison se réchauffer. 

C’est un sentiment de bonheur d’y penser. 

Cette forêt a été le terrain de jeu de mon enfance, et même encore il faut croire (rire).
J’avais une cabane dans ce bois-là. 

Avec un ami d’enfance, on passait nos journées à la construire, la transformer et la redéfinir.

On inventait toutes sortes d’histoires avec c’t’affaire-là, comme quoi elle était une source inépuisable d’idées et d’imaginaire.

Les souvenirs que j’ai ici ne sont pas comme des histoires, plus comme des rêves.

C’est peut-être ça l’essence.

La solidarité entre le rêveur et le rêve. 


La maison, du sous-sol au grenier, passant par ses fenêtres, ses recoins, ses tiroirs, ses plis, replis, cache un univers; un univers où les galaxies s’entrecroisent et s’entrechoquent. Chaque pièce ayant sa propre cosmographie, le vaste tiroir, par exemple, contient les secrets, les murmures de la maison.


Il y a une solidarité entre l’habitant et l’habitat. Même après avoir quitté la Maison, elle reste en nous. Elle est un enregistrement en cours. Cette maison, vous aurez compris, transcende ses murs. Elle est le pont entre le lieu et l'abris, faisant office d'intermédiaire. L'idée de la maison est l'espace intérieur sécuritaire de mon anxiété.

L'exemple ci-dessus: I feel for you fait directement référence à ce constant besoin de reconaissance dans toutes les sphères de ma vie. Je combine texte et image comme stratégie pour mieux contextualiser le message. 


Bernard Moninot, plasticien français, dit,« Le dessin prévoit le geste pouvant tenir le trait d’une chose en coïncidence avec une pensée » ; il est « projection, prolongement du présent, anticipation d’une chose qu’il faut faire advenir ». Il « garde en mémoire certains instants de chance, quand l’esprit du trait parvenait à s’identifier au trait de l’esprit ». En effet, je crois que le dessin, par le geste, est une extension pure de la pensée. Le dessin me permet d'affranchir les mots ou de les amplifier. Je recherche la sensation, les différents affects qui émanent des traits, des tons de gris et des sujets que j'applique sur  le papier.


Cette anxiété que je vis s'articule à travers le geste même. C'est de rendre visible l'invisible. C'est sa forme de représentation la plus pure.