Démarche artistique

J’ai longtemps travaillé en peinture. Je cherchais, sous une forme expressionniste, à traduire des états d’être. Dès le début de mon parcours à la maitrise en arts visuels et médiatiques à l’UQAM, en 2018, cherchant à comprendre ce qui me motivait, j’ai décidé de problématiser la notion d’émotion qui traverse mes préoccupations artistiques et d’en faire le cœur même de ma recherche.

 

J’aborde le sujet des émotions par le biais de deux approches volontairement non émotives : l’art processuel et l’art des données. Depuis l’automne 2019, je procède quotidiennement une cartographie de mon état affectif. Chaque jour, j’examine une liste de 64 groupes de mots (hésitation, culpabilité, espoir, etc.) et j’indique l’ampleur de chacun des états évoqués tel que je les ressens au moment de la cueillette des données.

 

La deuxième approche est celle de la traduction de ces données en œuvre visuelle. Cette étape en est une de traduction intersémiotique, dans le sens où l’entend Mélanie Rainville[1]. Elle précise que la traduction ne contribue pas à rendre l’objet de départ intelligible, mais plutôt à l’encoder.

 

C’est par la superposition de couleurs codifiées, dont la transparence varie, que se construit chaque image-données quotidienne. Le choix des couleurs, ainsi que leur degré de transparence, est établi en fonction d’un protocole précis et invariable. Par sa cohérence théorique et processuelle, ma démarche s’inscrit à la fois dans la filiation de l’art conceptuel (Roman Opalka, On Kawara, Claire Savoie) et dans l’histoire de l’abstraction picturale valorisant le travail de la couleur (Guido Molinari, Guy Pellerin).

 

Les images ainsi créées ne sont pas une représentation du ressenti émotif; elles en constituent un précipité, la capture de traces évanescentes comme autant de signes abstraits formant la trame d’un journal intime. Par ce processus, je tente moins de transposer mon vécu personnel que le caractère insaisissable des émotions, en permettant aux sens d’en reconnaitre les infinies variations.
 
 

[1] Rainville, M. (2008). La signature de Rober Racine. Réécritures et systèmes (mémoire de maitrise). UQAM, Montréal.