J’explore le mouvement par des mécanismes simples et rudimentaires tels que des arbres à came ou des mécanismes à contrepoids, par exemple. Ceci n'est pas le suicide de ma féminité consiste en un trébuchet-catapulte qui projette des confettis lorsqu'il est actionné. Je me suis intéressée à l’action de lancer puisqu’il s’agit de passer d’un point à un autre. Le mouvement devient un moment dans le temps qui selon Debicki « inspirent un art dynamique, qui intègre le temps comme une ‘’matière’’ sous forme de mouvement et de transformations » (Debicki et al., 1995). Le titre est en référence à mon travail qui est décrit comme étant masculin. Ceci est une réponse aux nombreux commentaires désobligeants d’hommes qui ont voulu, de mauvaise foi ou non, dénigrer mes connaissances ou mes compétences.

 

Il y a une proximité avec la matière dans le faire, dans le geste : la matière éveille les sens. Dans son livre Ce que sait la main, Richard Sennett affirme que la technique est intimement liée à l’expression. Les gestes de la main affectent directement notre façon de penser, ce qui amène un état de conscience matérielle engagée comme le décrit l’auteur, en disant que nous nous intéressons particulièrement aux choses que nous pouvons changer (Sennett, 2010). 


De l'inaction à l'action


Mon projet de recherche-création consiste en une mise en espace de différentes sculptures et installations en mouvement. L’avènement du cinétisme dans mon travail semble vouloir motiver cet état de stagnation dans lequel on se trouve en cette période particulière, depuis deux ans. Dans un langage plastique sculptural épuré, je cherche à rendre un état transitoire. Mes œuvres actuelles traitent de la précarité de l’ordre; je m’intéresse au point de basculement. Je réfléchis au désir de changement et à ce qui motive le passage de l’inaction à l’action; le moment déclencheur dans un processus décisionnel. 

À travers l’exploration de l’ordre et du désordre, j’utilise la répétition d’éléments. Dans l’œuvre À la soupe, ces éléments, mis en action, créent une agitation sonore et physique où les cuillères, positionnées de façon systématique et actionnées au moyen de moteurs, tapent dans leur assiette respective. La céramique des assiettes et le métal des cuillères qui frappent sur ces dernières génèrent un son qui n’est pas angoissant à l’excès, mais suffisant pour assurer une présence notable. Une forme de résistance appelant à un moment d’éveil. J’utilise la représentation d’objets usuels qui évoquent des symboles et interroge la potentialité d’objets familiers. Les pièces sculpturales sont empreintes d’un côté ludique et deviennent des allégories de systèmes sociaux ou même politiques. 

En sculpture, la gravité est inévitable et je suis bien souvent confrontée à trouver un moyen de la contourner ou du moins travailler de façon à la contrebalancer. Dans The Flying Steamroller, Chris Burden pousse à l’extrême l’utilisation du contre-balancier en soulevant de terre un rouleau compresseur pivotant autour d’un axe (Burden et Perrin, 1995). La sculpture-performance semble invraisemblable, comme si le poids n’avait plus d’importance. Quelque chose me pousse à vouloir saisir cette force, la comprendre et pousser ses limites. 

Une métafoire, bois, cuir, moteur, métal, composantes mécaniques et électriques, ballons en latex, 2020

 

L’image ci-haut représente le cerveau de l’installation. J’utilise un microcontrôleur et un circuit à relais pour démarrer et arrêter l’installation selon une programmation désignée. Les cuillères s’activent pendant une période donnée de quelques secondes, puis se mettent en pause pendant un temps aléatoire de quelques minutes. Le tout s'active de nouveau lorsqu'il y a présence de spectateurs devant l'installation. Je compte utiliser le même principe et poursuivre mes recherches en ce sens pour les autres sculptures qui ne seront donc pas en mouvement constant. Il y aura certainement un désordre ambiant, mais je souhaite une harmonie dans l’ensemble en développant mon projet autour de réflexions portant sur la motivation du passage de l'inaction à l'action. 

 

 

 

 

Dans l'oeuvre Une Métafoire, les soufflets fabriqués gonflent des ballons de latex, jusqu'à éclatement. Le mouvement confère un caractère anthropomorphique aux sculptures. Dans mon processus, je commence par dresser une liste d’actions potentielles qui m’interpelle telles que souffler, lancer ou encore taper. Je fais des croquis, j’effectue des recherches sur les mouvements et je planifie dans une démarche rigoureuse qui s’apparente au travail de l’ingénieur.

Le détournement est une stratégie artistique que j’emploie dans le but de perturber la perception initiale en amenant un élément de jeu, de surprise ou de doute. Je le fais par l’amalgame de différents objets ou en déviant ces objets de leur fonction usuelle. Selon James Trier, professeur et écrivain, « Le détournement ("diversion") était [un] moyen clé de restructuration de la culture et de l’expérience …. Le détournement propose une excision violente des éléments […] de leurs contextes d'origine, et une restabilisation et recontextualisation conséquente par rupture et réalignement. » (Trier, 2014).

Ceci n'est pas le suicide de ma féminité, bois, corde, câble d’acier, papiers colorés, 2021

À la soupe, 12 assiettes, 12 cuillères, 12 moteurs, PLA, 2021

Orchestre à géométrie variable, Jean-Pierre Gauthier, 2013-2014, Musée d'art contemporain de Montréal

À la soupe, extrait d'une documentation vidéo

Une métafoire, extrait d'une documentation vidéo 

Déf.: n.f. Une métafoire est un mélange entre le nom féminin métaphore qui signifie l’emploi d’un terme concret pour exprimer une notion abstraite, le verbe foirer qui veut dire échouer et le nom féminin foire qui est une fête foraine ayant une périodicité régulière.

 

The Flying Steamroller, Chris Burden, 1996, South London Gallery

Ceci n'est pas le suicide de ma féminité, extrait d'une documentation vidéo

J’ai une tendance naturelle à vouloir fabriquer et apprendre de nouvelles techniques. À mon avis, la proximité avec la matière dans le travail intensifie la sensibilité qui se dégage d’un objet fait main versus un objet manufacturé. Dans l'œuvre À la soupe, les assiettes blanches sont manufacturées, tandis que les cuillères d’acier inoxydable sont modifiées. Pour des raisons de praticabilité, d’esthétique et d’espace, je souhaitais intégrer à mon installation des cuillères à soupe à long manche. Celles-ci étant introuvables, j’ai opté pour la modification de cuillères de service. Étant donné qu’elles sont faites à la main, elles sont légèrement différentes les unes des autres : « ce qui fait la force envoûtante de certaines œuvres c'est secrètement ce léger ratage ». (Grossman, 2017). Par léger ratage, j’entends ces légères dissimilitudes entre les courbes des cuillères ou encore leurs formes. Visuellement, une harmonie s’installe, mais mécaniquement, des différences liées à la transformation manuelle émergent affectant ainsi la sonorité et conférant une individualité à chacune. Il en résulte donc un côté plus organique à la mécanique qui peut sembler très rigide.

 

 

 

Parmi les oeuvres d'artistes qui informent mon travail se trouve Orchestre à géométrie variable de l’artiste québécois Jean-Pierre Gauthier. Les notions d’ordre et de chaos, de permanence et de fragilité y sont aussi présentes. L’installation s’adapte au lieu selon la grandeur des fils électriques qui demeurent visibles et forment des dessins au mur. Les canons haut-parleur sont bricolés et module la sortie du son tandis que le réseau électronique découle d’un minutieux travail d’ingénieur.  Ce côté bricoleur et ce côté ingénieur sont deux approches qui se côtoient dans mon travail également.