Archéologie domestique: Fouiller faits et fictions de famille dans une pratique du texte, de l’objet et de l’image photographique


Carlos Viani              

Comment recréer la mémoire de quelqu’un à travers les traces sommaires et quelques images de son existence? Les réflexions de Roland Barthes dans La Chambre Claire accompagnent ces réflexions. Comment reconstruire les faits d’une vie inconnue par le biais de l’enquête? Comment jouer le double rôle du chercheur-enquêteur qui recrée des faitset qui est en même temps partie intégrale des faits recrées? Celui-ci est un double jeu chéri par Sophie Calle auquel elle se livre dès ses premières productions. Comment assumer que les faits et les fictions d’une vie sont les deux composantes indissociables d’une même unité? “Archéologie Domestique”, mon projet de recherche-création, est une enquête expérimentale qui s’est vue déclenchée par cet ordre des questions.  

 

L’idée d’ ”Archéologie domestique”est née de la quête de sens lors de la disparition soudaine de mon père en 1978, lorsqu'il a quitté ma famille sans laisser des traces. C'est pourtant quarante ans plus tard, en ayant reçu un email du bureau de la coroner d'Orange County (Californie), alors que je n’attendais plus de ses nouvelles, que j'ai été informé que mon père avait continué à exister jusqu'à très récemment. Quelques jours plus tard, après avoir été contacté par la coroner, je me suis rendu à Orange County, son lieu de résidence et c’est en ayant pris une série de photographies de ses effets personnels sur place et en m‘ayant entretenu avec ses connaissances que j’ai réalisé que je venais de lancer une enquête dont la durée et la portée ne seraient pas du tout prévisibles. 

 

En employant des méthodes de recherche qui s’apparentent à l’enquête policière, judiciaire et journalistique, je fouille des faits et fictions de famille. Je cherche des pistes par le truchement de l’analyse d’ archives, de témoignages, et la documentation des faits et lieux. Mon travail s’investit dans l’intersection des notions de la figure du père, de la mémoire, de la disparition, du trauma, et des rapports familiaux jamais réglés par une pratique documentaire et transversale dans laquelle se chevauchent des médias tels que la vidéo-performance et le moulage, et la production, intervention et montage du texte, de l’objet, du livre d’artiste et de l’image photographique. Je privilégie notamment l’image photographique et le moulage à cause des avantages inhérents qu’ils présupposent dans la capture du réel en direct, de leur capacité à s’adapter à l’enregistrement de façon relativement objective, et de leur rapport indexical avec la trace. 


Mon positionnement est celui de ne pas adhérer exclusivement aux aspects subjectifs de la mémoire ni à la supposée objectivité des données brutes, mais plutôt celui de favoriser une tension entre l’expérience subjective et l’objectivité des faits. Mais celle-ci est une enquête particulière, car son objectivité a été compromise dès le début à cause de mon double rôle. Conscient des limitations de la mémoire qui est mutable et par définition sélective -on visite le passé avec l’esprit du présent, forcément transformé par le vécu qui a eu lieu entre l’un et l’autre- je n’ai pas des attentes envers l’impartialité des résultats et conclusions qui y seront obtenus.