Annie Auger

La pensée que le paysage qu’on habite est à l’image de nos corps persiste dans mon esprit. Nous sommes liés, interdépendants. C’est ce qui se reflète dans ma démarche artistique qui est intuitive, holistique, poétique. J’y aborde de manière simultanée le soin apporté à l'environnement et aux corps, puisqu’un jour, inévitablement, nous ne ferons qu’un. Comme nous sommes des êtres poreux, ne faisons-nous pas déjà un ? Je crée des ponts entre pratique de soin et écologie en art imprimé, tout en performant pour la caméra. J'utilise des matériaux qui évoquent à la fois le territoire, la fragilité et la réparation. Il s’agit d’une réflexion méditative sur l’impermanence afin de paradoxalement mieux vivre.

 

Dans mon projet de recherche-création, c’est sur les rives de Nebesek, connu sous le nom du lac Saint-Pierre, que j’établis mes rituels de soin, de care. C’est sur ces berges, où subsistent les fantômes de mes ancêtres, que je glane une partie mes matériaux : bois flotté, pierres polies, façonnés par l'eau et le vent qui racontent le passage du temps. J’utilise les mouvements du Qi Gong ; une pratique ancestrale sur l’énergie vitale qui réunit différentes techniques corporelles, respiratoires et méditatives issues de la médecine traditionnelle chinoise. À partir de ces gestes millénaires, j’invente mes propres rituels et j’engage un dialogue avec le lac.  

 

Pour comprendre Nebesek je suis partie à la rencontre de ceux qui le connaissent en profondeur. Ses soignants, j’ose même dire ses guérisseurs. Un plongeur-démineur, un biologiste marin, une responsable d’analyse de la qualité de l'eau, et bien d’autres ; tous m'ont aidée à mieux comprendre ce qui se cache sous sa surface. Leurs connaissances enrichissent mon travail.

 

 Nebesek est un seuil, un entre-deux, entre lac et marais. Il est d’une beauté incontestable et d’une biodiversité foisonnante. Faisant partie du patrimoine mondial de l’UNESCO, il accueille un archipel aux îles mystérieusement incalculables où se loge la plus grande héronnière d’Amérique du Nord. Il est considéré comme le rein du « chemin qui marche », Magtogoek ; fleuve St-Laurent en filtrant près de vingt pourcents de l’eau douce mondiale. Malheureusement, son état de santé se détériore. Il souffre d’une maladie auto-immune. Par sa plaine inondable, il se contamine à chaque printemps de Roundup ; ce qui le tue à petit feu. Il est aussi miné, et doit survivre aujourd’hui avec son passé. Tel un vétéran, rempli d’obus. Il agit comme un memento mori contemporain.

 

En plus de l’énergie de ma famille et de mes ami.e.s qui est investie dans mon projet, j’ai le privilège d’avoir une grande équipe de l’UQÀM, enseignants et enseignantes, techniciens et techniciennes, directrice de maîtrise, qui me guide et m’assiste dans sa réalisation. Mes enseignantes de Qi Gong, Marie-Claude Rodriguez et Martine Migaud m’orientent. Tant d’artistes m’inspirent, comme, Sylvie Cotton, Kimsooja, Hannah Rowan. Je suis entourée des écrits d’une communauté de penseurs et penseuses tels Isabelle Stengers, Starhawk, Jean Bédard, Éric Julien et Astrida Neimanis, qui réfléchissent aussi à la notion de corps-territoire et ancrent mes propos. “Ce que nous faisons à l’eau, nous le faisons à nos corps aussi” (Neimanis).

 

Ce projet, en lien direct avec les enjeux actuels de notre territoire, propose une façon poétique de penser l’interconnexion entre corps et environnement, à travers la performance, l’art imprimé et la sculpture.  Je travaille en collaboration avec Nebesek. Je tente de saisir son essence, son esprit, à partir de ce qu’il m’offre lors de nos rendez-vous ; une débâcle, une inondation ou un bouquet de roses. Par une approche cyclique, j’en fais le tour au rythme des saisons. Tel le héron immobile, je scrute ses entrailles obscures. Ses obus, symbole à la fois de force et de vulnérabilité, sont aussi les miens. Comme lui, sous le mouvement de ma vague, je peux exploser. Je suis en quête de beauté dans le désastre. Le titre: éphémères. Puisque nous sommes une part même de l’écosystème, je tente de nous rétablir, ensemble. Afin peut-être qu’à travers le passage d’une rive à l’autre, une trace persiste.

Mots clés de la pratique: Performance photographique, care, interconnexion.

Auger, A. (2024), Éphémères, [photographie numérique sur chanvre]. Collection de l’artiste, Québec, Canada.

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Auger, A. (2024), Testament (détail), [photographie numérique sur soie Habotaï et bois flotté]. Collection de l’artiste, Québec, Canada.

Auger, A. (2024), Testament (détail), [photographie numérique sur soie Habotaï et hydrostone]. Collection de l’artiste, Québec, Canada.