Giuseppe Masia

Rip The Needle est une recherche-création qui prend racine dans une série de gestes : récolter, découper, détourner, recomposer. À la base, il y avait cette envie de sampler des vinyles abandonnés, de les découper, de voir ce que ça donnerait si je recollais tout ça comme un collage. Dabord sans trop réfléchir. Juste pour tester, pour entendre ce que ça pouvait produire. Et puis, petit à petit, ça a pris une autre forme. Jai commencé à construire mes propres platines, à fabriquer mes bras de lecture à la main, à mouler des vinyles en verre. Tout est parti de lexpérimentation, mais à force de faire, jai compris que c’était pas juste du son que je manipulais. C’était de la mémoire. Des traces. Des bouts dhistoire.


Aujourdhui, Rip The Needle regroupe plusieurs œuvres : des installations sonores, des performances, des disques en verre, des modules en boucle, des platines modifiées. Cest devenu un espace de travail vivant, ouvert, fragmentaire. Chaque pièce que je construis en fait partie. Chaque sillon que je découpe aussi.


Ce que je cherche à travers ce projet, cest à ralentir l’écoute. À faire entendre ce qui dhabitude reste dans le fond du mix. Les frottements, les scrooth, les silences, les bruits de surface, les fragments darchives oubliées. Je travaille avec des objets usés, des disques rayés, des machines bricolées. Pas pour faire du vintage, ni de la nostalgie. Mais parce que ces objets portent quelque chose. Une présence. Une mémoire sonore.


Deux œuvres issues de cette recherche seront présentées au FIMAV 2025, dans le cadre du parcours dinstallations sonores en ville. La première, installée dans un conteneur de trois mètres par trois, est une sorte de boîte sonore ouverte sur la rue. À lintérieur, trois modules DIY, chacun composé dune platine artisanale et dun disque en verre. Chaque module diffuse une plage de fréquence distincte : graves, médiums, aigus. Le tout tourne à des vitesses différentes, sans boucle fixe, dans une forme de lente dérive. Ce nest pas une pièce spectaculaire. Plutôt une respiration étirée. Quelque chose qui happe si on prend le temps d’écouter.


La deuxième installation est posée dans la vitrine dun magasin de musique de la rue Notre-Dame. Un seul module. Un vinyle recomposé, découpé au laser, réassemblé à partir de fragments hétérogènes. On voit les coutures, les greffes, les cicatrices. Le disque tourne, diffuse un son discret, à travers un haut-parleur placé à lentrée. Ici, pas de verre, pas de transparence. Juste le vinyle, brut. Avec ses erreurs, ses collages, sa mémoire cabossée.


Mes références théoriques et artistiques sont nombreuses, mais certaines maccompagnent de près. Martin Tétreault, dabord, que je considère comme un repère. Il ma fait comprendre que le tourne-disque pouvait être un instrument, une surface d’écriture. Que le bruit, les accidents, les défauts, pouvaient faire œuvre. Rosalind Krauss, pour penser la fragilité comme une intensité. Jonathan Sterne, pour sa lecture des supports obsolètes comme archives vivantes. Maria Chavez, pour le glitch et le hasard comme méthode. Merleau-Ponty, pour sa manière de parler de la transparence comme dune présence discrète. Et Schafer, bien sûr, pour la notion de schizophonie, cette séparation entre le son et sa source.


Mon travail cherche à activer une mémoire sonore à travers la transformation matérielle des supports. Je veux faire entendre autrement. Faire sentir que l’écoute peut être tactile, sensorielle, quelle peut passer par le corps, par le geste, par la matière. Ce que je fabrique, ce ne sont pas juste des objets qui font du son. Ce sont des surfaces d’écoute. Des dispositifs à mémoire. Des petites machines à traces.


Ce projet, je le pense comme un chantier. Il est encore en mouvement. Et cest très bien comme ça.

Mots clés de la pratique: Mémoire sonore, matérialité, sculpture.

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Rip The Needle—Plus rien ne va, Installation sonoreexposée au CDEX, Montréal, 2023.

Rip The Needle—Cut Vinyl Records, Expérimentation de découpe dedisques vinyles, 33 tours, Montréal, 2024.

Rip The Needle—Sonic Malice, performance sonore en duo avec SIM, Ateliers Belleville, Montréal, 2024.