ARTISTES:
ANNIE AUGER, CLAIRE BURELLI, OCÉANE BUXTON, PIERRE-OLIVIER DÉRY, FENYX FLORENTINY, NATHALIE GUILLOUX, ALEX HALLÉE, LAURENCE LAPOINTE-ROY, NICK MA, GIUSEPPE MASIA, PIERRE-ÉTIENNE MASSÉ, DENIS McCREADY, SAMUEL MERCURE, FATIMA-ZOHRA OUARDANI, JULIE PASTORE, GABRIELLE TURBIDE, MARIE-PIER VANCHESTEIN
INVITÉS:
MAGALI BABIN, JACYNTHE LORANGER, MICHÈLE MAGEMA, LUCIE ROCHER, RIHAB ESSAYH
Ma recherche-création puise dans les traces matérielles et immatérielles de l’activité humaine sur les rives, îles et littoraux de Tiohtià:ke / Mooniyang à l’ère du capitalocène. Cette époque géologique actuelle est caractérisée par les impacts de la pollution humaine et capitaliste sur la biosphère. Ma démarche explore ainsi les possibilités artistiques de la performativité et de la plasticité, de l’espace riverain au milieu muséal, qui participent à l’émergence de modèles d’agir écologique.
L’exposition qui accompagne ce texte déploie une iconographie performative, plastique et queer, issue de 20 interventions menées sur ces rives pendant deux ans. Mon travail de terrain s’est déployé sur les berges du Fleuve Saint-Laurent / Magtogoeg / Kaniatarowanénhne et de la Rivière-des-Prairies / Skawanoti / Pamskodategw. Ces espaces riverains et urbains, porteurs de significations multiples, sont aujourd’hui marqués par les impacts humains et la pollution plastique. Mes interventions incluent nettoyage de berges, caractérisation des déchets, actions performatives et documentation médiatique. Le nettoyage des berges et l’étude des déchets trouvés sont des gestes à la fois écologiques et symboliques. Ils interrogent notre rapport à la nature et à l’empreinte humaine sur l’environnement. L’objectif est de comprendre comment la matière, les débris et la pollution se transforment en points de départ pour une réflexion écologique et artistique.
En m’inspirant du site-specific art, tel que défini par Miwon Kwon (2002), je revisite mes actions de nettoyage, mes observations climatiques et mes interventions performatives en lien avec les contextes écologiques des sites investigués. À travers ces actions, je tente de traduire ces gestes en créations artistiques : des écoperformances, des photographies aériennes, des installations de plastiques retirés des rives, des essais cinématographiques. Ces démarches s’inscrivent dans une volonté de créer des effets bénéfiques pour les rives et d’interroger la manière dont les pratiques artistiques peuvent contribuer positivement à des problématiques environnementales urgentes.
L’un des enjeux principaux de ce travail est l’exploration du polymère plastique comme matière à la fois polluante et créative. Le retrait de la pollution anthropique, allant du macro au microplastique, du polyéthylène au polystyrène, des déchets industriels aux produits à usage unique, constitue une part importante de mon travail de terrain. Cette problématique est abordée à travers une méthodologie qui permet de transformer les déchets retrouvés sur les rives en œuvres plastiques. En m’inspirant des travaux d’artistes comme Katie Lawson, Kirsty Robertson, Laurent Lamarche et Gabriel Orozco, je me suis intéressé aux techniques de déplacement, de modelage, d’assemblage et de thermoformage des déchets plastiques.
Le projet inclut également une réflexion sur la dimension performative de mes actions. Inspiré par l’écologie queer, telle qu’explicitée par Cy Lercerf Maulpoix (2021), mes actions performatives explorent la relation entre le corps, la nature et la matière dans une déconstruction des formes de binarité. Les actions performatives que j’ai menées sur les rives sont un moyen de réinterroger notre relation à la nature et de redéfinir la notion de performance comme un acte de transformation écologique.
La documentation médiatique joue également un rôle central dans cette recherche. Chaque action performative, chaque intervention sur les berges, est documentée sous forme de photographies, de vidéos ou d’autres médias, qui deviennent des œuvres en soi. Le processus de mise en image des interventions artistiques crée ainsi un dialogue entre l’espace riverain et l’espace muséal, ouvrant des pistes pour repenser la place de l’art dans la représentation des enjeux environnementaux.
Ma recherche s’inscrit dans une approche de transposition artistique, inspirée par Michael Schwab (2018), qui propose de croiser différentes disciplines pour créer une écologie de pratiques interdisciplinaires. L’écoconception, influencée par la démarche Cradle to Cradle de William McDonough et Michael Braungart (2011), a guidé l’idéation du projet, où chaque étape de la création artistique s’inscrit dans une logique de respect de l’environnement. Il s’agit d’une approche innovante d’écoconception, fondée sur les principes de durabilité, de réutilisation et de circularité matérielle. Les matériaux plastiques collectés sont ainsi réutilisés dans la création d’œuvres, transformant des déchets en objets de réflexion sur la transition socioécologique. Ce projet engage une réflexion sur l’art écoresponsable et activiste, notamment en étudiant les pratiques sensibles et poétiques à l’environnement de Mierle Laderman Ukeles et Gwenyth Chao.
L’écoconception de mes corps performatifs et plastiques m’a permis de définir des critères positifs plus larges, permettant d’ancrer l’art dans le territoire et de créer avec le vivant en observant, remerciant, régénérant et respectant. L’intégration des toponymes et hydronymes autochtones à ma recherche-création et aux textes de mon exposition complémentent ma reconnaissance territoriale, contribue aux imaginaires territoriaux et s’inscrit dans l’éthique inclusive de mon travail sur le terrain. Cette posture corrobore tant à l’esthétique inclusive du capitalocène, telle que vue par Nicolas Bourriaud, qu’avec l’éthique inclusive de l’écologie queer telle qu’explicitée par Lecerf Maulpoix. Ma recherche concerne le territoire sur lequel elle se déploie, mon travail sur le terrain cherche à amplifier un sentiment collectif d’immersion dans ce monde capitaliste et mes œuvres visent à bouleverser radicalement les représentations du dehors ou de l’extérieur en réponse aux crises provoquées par l’activité humaine.
En alliant corps performatifs, corps plastiques et écoconception, ma recherche-création propose une façon inédite d’imaginer l’art comme un outil de sensibilisation aux enjeux environnementaux. Il s’agit de comprendre comment, par des gestes créatifs, on peut non seulement questionner un enjeu comme la pollution, mais aussi générer des imaginaires écologiques porteurs d’espoir et de transformation.
Extrait du journal de terrain :
Les bottes boueuses ralenties par la terre humide
je glisse dans l’infime passage déforesté pas à pas
par les citoyen·nes de Tiohtià:ke/Mooniyang
pour attraper la vue le temps d’une bouchée emballée.
Sur la rive de la Skawanoti, écosystèmes naturels et plastiques cohabitent
acrylonitrile butadiène styrène, polyuréthane, polytéréphtalate d’éthylène et polycarbonate s’agglomèrent aux feuilles, épines et racines du nerprun cathartique, de la berce du Caucase, de la renouée du japon et du phragmite.
Qu’on ces espèces en commun avec l’humain ?
Elles envahissent.
De nos mains coupables ou nos pas innocents, elles traversent des continents pour s’aimanter à nos écosystèmes.
Cyanoacrylate, chlorure de méthylène, photopolymérisation, catalysation ou thermoformage assemblent, collent et fabriquent des plastiques thermodurcissables ou élastomères.
Strates corrodées, sucres desséchés et fibres satinées attirent hérons, canards et poissons.
Telles des fleurs sauvages, je cueille un à un ces polymères exotiques envahissants avant que le vent ne les emporte dans l’eau de la Pamskodategw vers le septième continent.
Sites web: www.alexcoteh.com / www.idylle.ca