Samuel Mercure

Extraction propose une remise en question de lespace d’exposition. En adoptant une méthodologie fondée sur lextraction et la transformation, je cherche, en premier lieu, à comprendre comment lintangible de ce lieu — à la fois physique et symbolique — peut se manifester. Plus qu’un appareil de diffusion, cet espace devient une matière première, un terrain dexpérimentation où l’œuvre interroge autant lautorité symbolique de linstitution quelle nen tire profit.


Le projet se déploie à partir de trois extractions fondamentales, qui marquent chacune une approche différente du lieu.


La première est un sablage des murs, une déconstruction minutieuse qui produit une fine poudre blanche — matière première issue directement de larchitecture. La deuxième sintéresse à lhumidité ambiante : à laide dun déshumidificateur, je prélève leau présente dans lair, fluide presque imperceptible mais porteur dune présence invisible. La troisième extraction repose sur un geste de documentation photographique. Des tableaux de substitution sont temporairement introduits dans lespace, et leurs ombres portées, plus que les objets eux-mêmes, sont captées par l’objectif.


Cette méthode d’extraction et de transformation trouve un écho dans la pratique de l’artiste américain Daniel Turner. Dans une œuvre comme WHSC 4102 Burnish (2018), Turner utilise une matière poudreuse obtenue en pulvérisant du mobilier métallique extrait d’un lieu désaffecté proche du site d’exposition. Ce procédé d’appropriation et de réactivation de la matière est central à sa démarche ainsi qu’à la mienne.


Ainsi, le mélange de la poudre et de leau que je recueille lors de mes extractions donne naissance à une peinture liquide. Cette substance devient un médium artistique pour la réalisation dune série de tableaux abstraits, produits et archivés hors du lieu dextraction. Une fois ces tableaux achevés, ils sont photographiés, puis superposés numériquement aux images des tableaux de substitution. Cette opération génère des images où la trace matérielle et la documentation se confondent.


Lensemble de ces images est ensuite réuni dans un catalogue dexposition. Ce dernier valorise autant le lieu que les œuvres quil a rendues possibles. Puisque le public na jamais accès physiquement aux tableaux, cest uniquement à travers la consultation de ce document que le projet sactive réellement.

 

La démarche d’Hubert Renard, notamment à travers son Catalogue raisonné couvrant la période de 1969 à 1998, constitue une filiation difficile à ignorer. Chez lui, le document devient œuvre à part entière, ouvrant la porte à une forme de réalité parallèle où l’existence de son travail semble perpétuellement remise en question. Dans ses expositions plus traditionnelles, les œuvres originales sont rarement visibles ; à leur place, on trouve des maquettes ou reproductions basées sur les spécifications documentaires. Cette ambiguïté est une dimension que je cherche également à recréer.


L’héritage de l’art conceptuel occupe aussi une place importante dans mon projet. Extraction repose cependant aussi sur une expérimentation directe de la matière, introduisant une part importante dimprévu. Cet équilibre entre valeur conceptuelle et spontanéité matérielle confère à mon projet une dimension esthétique qui dépasse la simple mise en forme d’une idée. Je pense ici aux propos de Michael Asher, qui, dans une entrevue de 2004, soulignait la qualité sculpturale et formelle de ses œuvres. Il affirmait que dune démarche conceptuelle rigoureuse pouvaient émerger des objets porteurs dune forte charge esthétique, capables de toucher le public sur un plan préréflexif et affectif. Cest dans cette optique que je conçois mes tableaux, persuadé quils peuvent susciter une forme semblable dattrait.


Les récents développements en intelligence artificielle, notamment appliqués au traitement visuel, modifient profondément notre rapport à limage. La documentation photographique dune exposition nest plus forcément ancrée dans un fait ou une vérité. De plus en plus dartistes utilisent ces outils, non seulement pour créer leurs œuvres, mais aussi pour les présenter, construire leur documentation et, ce faisant, légitimer leur pratique.


Cela rejoint la réflexion proposée par Natalya Serkova dans Gallery Fiction, publié sur ofluxo.com. Elle pose cette question : « Êtes-vous sûr que les expositions dont vous pouvez observer quotidiennement la documentation en ligne existent réellement ? » Et elle poursuit : « Êtes-vous sûr que si vous passiez devant la galerie à ce même moment, vous seriez en mesure de voir cette exposition dans sa forme physique réelle et dans la même configuration que celle perçue sur votre écran (Serkova, 2018, traduction libre) ?


Dans ce contexte, Extraction met en lumière linterdépendance entre l’œuvre et son environnement. Bien que les tableaux finaux ne soient jamais physiquement présents dans le lieu dexposition, leur existence dépend directement de lextraction de lessence même du lieu. Sans cette extraction, l’œuvre nexiste pas.


Ce processus est à la fois matériel, conceptuel, et souligne la place déterminante du lieu dans lacte de création. En tentant de révéler les dynamiques invisibles de lespace dexposition, ma démarche interroge également notre relation à limage. Poussières, humidité et ombres deviennent les seuls points d’ancrage d’une réalité aujourd’hui difficile à définir. Mon projet émerge comme une hybridité ambiguë entre documentation et fiction, brouillant les frontières entre l’œuvre et sa représentation. Cette ambiguïté nest pas un simple flou, mais une volonté de remettre en question notre perception de lart, dans un monde où limage — et la réalité quelle prétend refléter — est devenue hautement manipulable.

Mots clés de la pratique: Extraction, documentation, peinture abstraire.

Site web: www.smercure.info

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– Extraction_OBORO_02, 2024, 12x16
Vinyle en PVC, cadre, poussi
ère de mur, eau extraite par déshumidificateur sur place
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Extraction_CIRCA_01, 2024, 12x16
Vinyle en PVC, cadre, poussi
ère de mur, eau extraite par déshumidificateur sur place

Vue d’installation, 2024

Prototype du catalogue d’exposition