Nathalie Guilloux

Le projet de recherche-création que je propose, intitulé Profondeurs Cosmiques, s’inscrit dans une démarche immersive et interdisciplinaire croisant art et science. Il prend la forme d’une installation sensorielle centrée sur l’arbre, articulée autour d’un dessin panoramique, d’un vidéo mapping en stop-motion, d’un univers sonore et d’un aménagement propice à la contemplation. Cette œuvre interroge notre manière d’habiter le monde, renouvelle notre lien au vivant et redéfinit le paysage comme une cosmologie partagée avec le non-humain.

 

Ma pratique artistique, ancrée dans le dessin élargi, déborde les cadres traditionnels pour engager un dialogue avec l’espace, le mouvement, le souffle et la perception sensorielle. Cette approche s’inscrit dans la continuité de mon parcours d’artiste flâneuse-chercheuse, attentive au monde végétal et à la résonance des formes naturelles. Mon travail s’élabore par la marche, l’observation, l’écoute et le dessin, dans une relation directe et sensible avec les arbres et les forêts.

 

L’arbre occupe une place centrale dans ma démarche. Je le considère comme un être vivant, mémoire du monde, médiateur cosmique et figure de passage. Il relie la terre et le ciel, le visible et l’invisible, la matière et le souffle. Dans cette perspective, il devient un guide pour repenser notre lien à la nature, non comme un extérieur à maîtriser, mais comme un monde en mélange, dans lequel nous cohabitons. Cette vision s’inspire des pensées d’Emanuele Coccia sur la cosmologie du mélange (2016), et de Natasha Myers sur le Planthropocène (2020), qui invitent à réinventer notre place dans le vivant à l’image du monde végétal.

 

Je viens d’un territoire où les arbres ont une importance vitale. Née au croisement des cultures acadienne, normande et bretonne, j’ai grandi dans des forêts européennes. Les forêts ont été mon premier monde. J’y ai appris une manière d’habiter l’espace, une écoute du rythme des choses, une attention aux nuances de lumière, d’odeur et de texture. J’ai aussi arpenté les forêts d’Amérique, et vécu souvent à hauteur de canopée ou dans des lieux offrant des vues panoramiques. Ces expériences ont renforcé mon lien à la verticalité de l’arbre et à l’immersion dans le vivant. Elles nourrissent aujourd’hui mon rapport au dessin, à l’échelle, à la profondeur et à la lenteur.

 

Je me sens porteuse d’une mémoire ancestrale liée aux arbres. Les traditions celtiques et vikings, présentes dans mes racines, résonnent dans ma démarche. Dans ces cultures, l’arbre est un être sacré : source de vie, axe du monde, lieu de passage entre les mondes. Le chêne, le bouleau, l’if, ou l’Yggdrasil nordique sont porteurs de puissantes symboliques d’ancrage, de transformation et de transmission. Ces imaginaires irriguent mes œuvres, non dans une visée illustrative, mais comme des résonances sensibles, intégrées dans une forme contemporaine.

 

Ce projet s’ancre dans deux œuvres fondatrices. La première, Spiraculum arboris (2023), est un diptyque constitué d’un panorama fixe sur papier japonais Kozuké et d’un panorama déroulant sur papier calque. Cette œuvre explore la relation entre matière et transparence, surface et profondeur, visible et invisible. La seconde, Corps célestes (2024), rassemble soixante dessins circulaires de petit format, où j’ai tenté une visualisation sensible de l’état de suspension, d’élévation et de vibration de l’arbre.

 

Mon travail se nourrit aussi de lectures et de recherches. Les écrits d’Emanuele Coccia (2016), Ernst Zürcher (2016) et Renaud Chabrier (2020) éclairent ma réflexion. Du côté des arts visuels, je me sens proche des démarches sensibles et immersives d’artistes comme Andreas Eriksson, Eva Jospin ou Emma McNally, qui explorent des formes de paysage à la fois mentales, organiques et mémorielles.

 

L’installation immersive Profondeurs Cosmiques se déploie en plusieurs volets, issus d’un processus déambulatoire de collecte et de réactivation de mémoires picturales de mes marches en forêt. Le premier est un dessin panoramique sur papier, réalisé au graphite, charbon, poudre de métal et matières organiques Il s’inspire des arbres littéraux de Spiraculum arboris tels des morceaux suspendus entre ciel et terre.

Ce dessin est accompagné d’un vidéo mapping en stop-motion, projeté en superposition. Conçu comme un souffle visuel, une pulsation lente, il révèle les passages, les métamorphoses et les respirations du dessin et donne à voir l’invisible. Le mouvement n’est pas narratif mais organique, en lien avec le rythme biologique de l’arbre et le souffle du vivant. Il engage le regard dans une expérience immersive et méditative. Chaque dessin est une empreinte, une trace, un souffle. Je travaille avec les doigts, les ongles, des objets trouvés, explorant textures, poussières, filaments, points — pour suggérer une vibration, une présence, une pulsation cosmique, un paysage en devenir.

 

Un troisième volet sonore accompagne l’installation. Conçu comme un chuchotement, il est composé de bulles sonores : sons issus du biotope et de la biocénose de l’arbre, enregistrements de souffle, battements du cœur, bruits de dessin et de frottement. Collectés lors de mes marches et retravaillés en studio, ces sons sont diffusés de manière spatialisée, comme si l’on pénétrait dans la mémoire sonore d’un arbre.

Enfin, l’espace est pensé comme un lieu d’accueil du corps et de l’attention. Tapis, coussins et éléments doux invitent à s’asseoir, à s’allonger, à ralentir. Il ne s’agit pas d’un espace de consommation rapide d’images, mais d’un lieu de relation, où l’on entre en contact avec un monde autre — végétal, subtil, cosmique.

 

À travers Profondeurs Cosmiques, je propose une œuvre-expérience : une traversée du dessin comme milieu vivant, une immersion dans une cosmologie partagée avec l’arbre, une tentative poétique de réaccorder le corps, l’imaginaire et le monde. Une invitation à ralentir, à respirer, à percevoir autrement ce qui nous entoure. Un espace de relation éthique avec le vivant. Un réenchantement, peut-être…

Mots clés de la pratique: Paysage cosmologique, dessin élargi, arbre.

Nathalie Guilloux. (2022). Spiraculum arboris. [Fusain sur papier calque et Kozuké]. © S. Huot

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Nathalie Guilloux (2024). Corps Célestes 1-9. [Fusain, carbone, pigments sur papier vélin]. © N. Guilloux

Nathalie Guilloux (2025). Corps Célestes 51. [Vidéo en stop-motion]. © N. Guilloux