Fenyx Florentiny

Il y a un an, je décidais de partir à la recherche des traces du queer* dans les archives familiales, dans ma généalogie et dans l’histoire de mon île d’origine, la Martinique, sans succès. J’ai en fait abandonné le projet après des tentatives de discussions avec mes parents et des recherches infructueuses dans les archives en ligne. Mon objectif était alors de développer une méthodologie et une pensée queer décoloniale. Je ressentais également la nécessité de lier cette recherche avec mon expérience au Québec sans réussir à le matérialiser. Une visite au Parc national du BIC a donné un ancrage à mon corps et mon projet puis un séjour en Martinique a retissé le lien avec l’ancestralité et les origines.

 

En faisant de mon corps la boussole de ma création, j’observe comment mon genre se meut au contact de différents territoires et je fais émerger des récits aqueux qui témoignent de mon embodiement queer.

 

Assis.e sur les épaules de Lorde, Tinsley, Anzaldua, Brathwaite et bien d’autres, je tisse une généalogie élargie afin de pouvoir faire émerger des futurs queers florissants et ancrés dans un terreau décolonial. Le texte, le son, la vidéo, la photographie et la sculpture s’entremêlent pour donner vie à des fictions sensuelles qui matérialisent de nouvelles corpo-réalités (Alamo). De la fissure s’élèvent des corps poreux et glissants qui refusent de se soumettre et de disparaître.

 

Comment dire et penser le queer selon depuis l’insularité ? Me frotter aux littoraux d’ici de chez moi a fait apparaître la nécessité d’apprendre à faire famille avec les écosystèmes qui me traversent. Je tente d’ancrer le geste créateur dans une éthique du CARE et de la réciprocité. Si comme Sophie Strand, je considère l’ECO en tant qu’éthique, je dois considérer les territoires non comme des espaces à expérimenter, mais comme des histoires à écouter, comprendre et porter. Je dois faire kinship avec chaque être, chaque pierre, chaque brin d’herbe.

 

Du vivant que je côtoie j’apprends l’écoute, la collaboration, le désordre, et l’imprévisibilité. Du vivant j’apprends à composter. J’apprends que le processus de pourriture est nécessaire à l’émergence d’une vie colorée et foisonnante. J’apprends des trash monsters (les champignons selon Yasmine Ostendorf-Rodriguez), à alchemiser les déchets. J’apprends à apprécier la beauté dans l’action de pourrir, car c’est une étape nécessaire pour faire émerger de nouveaux possibles, de nouvelles façons de penser…


Du vivant j’apprends l’échec, j’apprends à flouter les contours de ma queerness. L’ordre, la propreté, les limites bien définies entre les choses, sont des principes bien ancrés d’une société hétéro-patriarcale. Cet ordre s’oppose à la joyeuse messiness du monde naturel et donc à une certaine biodiversité. Accepter le déclin et la contamination, accepter l’échec de la stérilisation est un geste de résistance queer.

 

Etre queer est échouer (Halberstam). Dans Le corps lesbien, Witting transmute cet échec en potentiel créateur et subversif. C’est en m’inscrivant dans cette ligne de pensée (je rappelle que les fxmmes noires échouent elles aussi au test de féminité selon les standards du monde occidental), que je spécule des futurs queers décoloniaux en symbiose avec le vivant.

Mots clés de la pratique: Queer, kinship, sensorialité.

____________________________

Archive du BIC, 2024. Bioplastique, lichen, coquillages, algues.

Test d’installation, 2024.

Moving with water, 3e itération, 2024. Crédit : Nelly Mironchuck.