ARTISTES:
ANNIE AUGER, CLAIRE BURELLI, OCÉANE BUXTON, PIERRE-OLIVIER DÉRY, FENYX FLORENTINY, NATHALIE GUILLOUX, ALEX HALLÉE, LAURENCE LAPOINTE-ROY, NICK MA, GIUSEPPE MASIA, PIERRE-ÉTIENNE MASSÉ, DENIS McCREADY, SAMUEL MERCURE, FATIMA-ZOHRA OUARDANI, JULIE PASTORE, GABRIELLE TURBIDE, MARIE-PIER VANCHESTEIN
INVITÉS:
MAGALI BABIN, JACYNTHE LORANGER, MICHÈLE MAGEMA, LUCIE ROCHER, RIHAB ESSAYH
Ma pratique artistique est interdisciplinaire : sculpture, image, performance, écriture et dessin se côtoient dans mes installations. L’installation est un laboratoire où je peux explorer les relations singulières et puissantes entre les choses, comme une écriture de l’espace, par fragments et sensations. J’y explore mon rapport sensible à la matière dans un désir de créer des opportunités de correspondance avec celle-ci. Je façonne des formes organiques en céramique où l’on sent le travail de la main. Ces objets sont ensuite activés. Ainsi, une double conscience de l’objet est en cours lorsque je façonne la terre : les gestes de mes mains dans la matière sont annonciateurs des gestes dans la performance.
Ces petits objets deviennent chargés par les gestes passés. Ils en gardent une trace, une mémoire. L’activation de ces derniers lors des performances amplifie cette sensation d’attraction entre les corps et révèle leur désir de rencontre. Puis, la répétition et l’accumulation surviennent comme rappels de leur présence ancrée.
Ma recherche-création explore les effets de l’expérience du toucher sur notre rapport à la matière, aux objets et au monde. Le sens du toucher survient comme manière d’engager une relation de proximité avec l’environnement et se révèle à moi comme expérience de contact et d’entremêlement. Maria Puig de la Bellacasa explique que penser avec le toucher a le potentiel de démanteler notre désengagement au monde. Elle perçoit le toucher comme mode de connaissance plus intime et incarnée[1]. Le toucher rapproche, comme une prise de conscience de notre existence commune avec le monde qui nous entoure. Il occasionne des reconnexions dans mon expérience avec la matière et les objets.
C’est en fait par le faire que la forme se précise. Il s’agit d’une rencontre sensible avec la matière. Tim Ingold précise que la matière a sa propre vie : «Faire consiste alors en un processus de mise en correspondance : non pas imposer une forme préconçue à une substance matérielle brute, mais dessiner ou délivrer les potentialités immanentes d’un monde en devenir. Dans le monde phénoménal, chaque matériau est en devenir, il ouvre un chemin ou une trajectoire dans un dédale de trajectoires[2].»
Je découvre ce que la matière peut dire. C’est une rencontre qui devient familière, mais peut me surprendre toujours.
La création d’expériences haptiques par les formes et textures de l’exposition permet d’accentuer ces reconnexions. J’entends par haptique des expériences où le toucher est ressenti par le regard, où les yeux agissent comme des organes tactiles, puis où les objets et les images agissent comme des tentations sensorielles. Est-ce que ces expériences occasionnent une relation de proximité avec l’environnement ? Puis, est-ce que cela nous amène dans une posture d’attention et d’écoute au monde qui nous entoure ?
Puis, l’installation et la performance deviennent un matériel de fiction, un espace spéculatif et narratif où la matière s’exprime, se meut et se transforme. Ces pièces que je crée génèrent des opportunités de rencontre et d’enchevêtrements. L’un de ces objets est un grand bol en céramique. Il est d’un format hors norme, fait à la main et irrégulier. Il accueille une eau presque noire, un mélange d’argile liquide et de fusain. Puis plusieurs objets étranges permettent de transporter cette eau dans leurs creux. Le liquide est transporté et versé sur un grand tissu suspendu. Il l’absorbe tranquillement. Certains objets y sont posés, leur poids génère des creux, un relief doux sur cette surface sensible. Par l’accumulation de ces gestes, des formes grises et noires apparaissent sur le textile. Tous ces éléments entrent dans une danse à la fois complexe et lente, faite de répétition, d’accumulation, de soin, de proximité, de geste, de sensation et de corps étranges qui s’entremêlent. Le format du contenant est pensé pour engager le corps. Mes bras peuvent y plonger. Mon corps entre en relation avec les objets et garde des traces de cette eau trouble.
Puisque l’objet ne me révèle pas sa fonction lorsque je l’observe, je dois m’en remettre au toucher. Je découvre quel creux est plus confortable pour la main. Je découvre ses variations de textures. L’objet se révèle à moi. L’engagement du corps est donc une façon d’ancrer mes gestes dans le réel. Ou peut-être cela permet-il de générer une fiction nouvelle où les gestes me saisissent, où une relation de proximité grandit. Les objets agissent comme des extensions de mon corps, des manières de prendre conscience de mon corps dans l’espace, de mes sensations. Ils me permettent de créer de nouvelles manières d’entrer en contact avec ce qui m’entoure. Dans cet espace, ces jeux d’entremêlements permettront à la matière, aux objets et aux gestes de se multiplier et de se transformer en des variations multiples.
Jeux d’entremêlements, 2025, graphite sur papier, céramique, argile et fusain sur tissu, 50 x 70 cm.