ARTISTES:
ANNIE AUGER, CLAIRE BURELLI, OCÉANE BUXTON, PIERRE-OLIVIER DÉRY, FENYX FLORENTINY, NATHALIE GUILLOUX, ALEX HALLÉE, LAURENCE LAPOINTE-ROY, NICK MA, GIUSEPPE MASIA, PIERRE-ÉTIENNE MASSÉ, DENIS McCREADY, SAMUEL MERCURE, FATIMA-ZOHRA OUARDANI, JULIE PASTORE, GABRIELLE TURBIDE, MARIE-PIER VANCHESTEIN
INVITÉS:
MAGALI BABIN, JACYNTHE LORANGER, MICHÈLE MAGEMA, LUCIE ROCHER, RIHAB ESSAYH
Ma pratique artistique repose sur l'assemblage d'objets disparates, trouvés, recyclés ou fabriqués. À travers des séries d’objets multiples ou des installations, j’établis des relations entre différents éléments sculpturaux pour tisser une trame narrative. Chaque assemblage devient un espace de dialogue entre les objets, où ces derniers se transforment et acquièrent de nouvelles significations selon leur histoire, interaction et agencement. Ce processus explore la fragilité de la dualité entre nature et culture, offrant ainsi une réflexion sur le rapport entre ces deux notions.
Dans le geste du faire, je cherche à interroger les paramètres sculpturaux ; forme, couleur, texture, à travers le prisme de l’objet. Ce geste, à la fois intuitif et réfléchi, vise le détournement, pour les tisser en un ensemble cohérent où l’objet, délogé de sa fonction première, devient vecteur de sens et de mémoire. C’est à travers cette dynamique que je cherche à offrir une vision renouvelée de l’objet sculptural et de ses implications visuelles et culturelles. Cette expérience, où se mêlent l’aura et l'inquiétante étrangeté, m’intéresse profondément, car elle résonne avec le sentiment provoqué par des objets insolites, qui génèrent une sensation par le double comme une empreinte de l’infigurable. L’invisible pourrait se trouver dans le lien entre le figuratif et l’abstrait, entre l’original et le faux. Elle pourrait aussi incarner le contact avec l’origine et la perte de l’origine (Didi-Huberman, 1992) accentuant ainsi notre capacité à reconnaître ou à déformer la réalité.
Actuellement, ma recherche s’inspire de mon parcours personnel, marqué par mon expérience diasporique, ce qui a profondément nourri ma vision de l’artiste « nomade ». Un terme qui, loin de se limiter à une simple posture géographique, incarne aussi une réflexion sur l’entre-deux : ancrage-voyage, identité d’origine et adaptation à mon territoire de résidence.
Mon exploration avait pris sens par la découverte d’un pilier de palanquin à mon passage à Casablanca. Attiré par sa forme usée et ses motifs ethniques gravés, cet objet m’a surtout marqué parce qu'il incarne l’idée de non-permanence, il facilite chaque départ, tout en restant un vecteur de mémoire et de transmission. Au fond, il cristallise une forme de friction avec un récit stéréotypé du nomade du désert, à l’égard duquel, je cherche dans cet acte d’appropriation l’outil discursif (Butler,1990) qui me permettra de construire autour de cet objet autant de métaphores visuelles que de réponses à mon besoin de revisiter et d’influer sur la construction de ma propre subjectivité. Cet acte devient un acte d’engagement social qui incarne une forme de résilience dans ce discours d’emprunt (Havercroft, 2017), pour explorer des questions d’identité, de transience et de l’interconnectivité humaine.
Loin de l’illusion d’un parcours linéaire, ma trajectoire a pris de nombreux détours. J’ai voyagé à Montréal en 2007 après avoir obtenu un baccalauréat en finance, précédé d’un diplôme en sciences économiques et sociales. Mon objectif initial était de poursuivre mes études supérieures. Rapidement confrontée aux réalités institutionnelles et à des imprévus, j’ai été poussée à explorer d’autres domaines d’expertise et d’apprentissage. Ce parcours m’a conduite à des ajustements constants, à la recherche d’un lendemain plus enchanteur. Un affaiblissement physique, mêlé d’isolement et de désillusion identitaire, a déclenché une quête intérieure. Ce détournement de parcours m’a permis de me réinventer, en comprenant que le passé n’est pas une contrainte, mais un champ de potentialités (Bédard, 2013). Le passé peut être réactivé et modelé pour libérer une créativité nouvelle. J’ai dû revenir à l’essentiel, rencontrer le souhait d’enfance : devenir artiste, et le vivre en étant mère deux fois, en réintégrant des études en art.
Dans mon travail intitulé Rencontre et Réplique, j’ai cherché à fusionner introspection et analyse. Cette installation incarne l’essence de mon esprit créatif, nourri d’une conscience identitaire plus prononcée. Elle met en scène des photographies personnelles, des objets ethniques fabriqués en verre et en plâtre, des objets trouvés, légués, ou personnels. Par exemple; un dictionnaire de poche bilingue (arabo-français), devient le symbole du poids de la distance et de la communication pour un migrant, ajoutant une couche de sens à la réflexion sur le déplacement et l’intégration. Ce travail m’a permis de tisser des interconnexions immatérielles auxquelles j’ai donné le nom « Tissences » (néologisme au croisement de tisser, essence et sens). Il désigne un état poétique du lien, là où mémoire, matière et invisible s’entrelacent. Ces liens émergent souvent au cœur du processus créatif, sous forme de découvertes imprévues. Ainsi, en explorant la page consacrée au mot "rencontre" - لقاء, j’ai été frappée par la résonance de certains mots avec l’essence de ma démarche artistique : objets trouvés, trouvaille, croisement, réception, confluent, chercher son chemin, élocution, bégayer, etc. Autant de notions qui se tissent naturellement avec l’essence de ma recherche.
Fidèle à ma démarche processuelle, j’ai cherché à réunir le fragment et l’unité en amorçant les premiers assemblages. J’ai également exploré la fonction utilitaire du pilier de palanquin pour construire un dispositif traditionnel multifonctionnel appelé dans les régions du sud du Maroc رَحَّال - raḥḥāl; "voyageur", que l’on retrouve aussi dans d'autres pays de l’Afrique, comme la Mauritanie. Traditionnellement, il est perçu comme le dépositaire d’histoires familiales, souvent liées à l’épouse, il incarne une forme de biographie de son intime et rassemble tous ce que possède la
famille de plus précieux. Il peut également être renversé et utilisé comme un palanquin ou un porte-bagage sur des animaux durant les déplacements. Dans mon travail de fin de maitrise, ce dispositif sera porteur de l’identité du nomade contemporain, avec une nouvelle interprétation de la mémoire et un nouveau récit.
Comme le suggèrent Gilles Deleuze et Félix Guattari dans Mille plateaux (1980), le nomadisme n’est pas qu’un mode de vie : c’est un principe de déterritorialisation. Il permet de rompre avec les espaces figés, de se libérer des rôles imposés et de faire émerger sans cesse de nouvelles formes d’expression. Le nomadisme devient alors un processus créatif évolutif, un mouvement qui génère des pensées et des organisations sociales alternatives.
En résumé, je mène cette recherche dans la multidisciplinarité des procédés : moulage; façonnage; gravure sur bois; textile, etc. C’est ainsi, que je propose une approche fluide et mouvante de la mémoire et de l’identité, en m’appuyant sur des objets de voyage et trouvés, matériaux, manuscrits et tracés issus de cartographies médiévales. Notamment, celles du géographe Sharif Al-idrissi, réalisées au XIIe siècle pour le roi Roger II de Sicile, qui tissent aussi des récits pluriels, rassemblés, hybrides et nomades.
Enfin, ma démarche interroge aussi les formes d’hybridité issues des savoir-faire artisanaux et interculturelles considérés comme les vecteurs premiers de tout échange, quelle que soit sa nature (économiques, culturelles et de pouvoir) pour façonner des corpus sculpturaux porteurs de métissages et de transmissions. Ainsi, mon travail n’illustre pas le nomadisme ; il le performe. Il est transition, perte, transmission et redécouverte. Il est recherche de lien dans un monde fragmenté.
Mots clés de la pratique: Objet, nomadisme, interconnexions matérielles, immatérielles, interculturelles.
Site web: www.fatimazohra-ouardani.com
Instagram: @ouart.z
Rencontres et Répliques, 2024. Matériaux: Photographie personnelle imprimée sur acétate, moulage d’objet en verre et en plâtre, objets trouvés, objets légués, objets personnels, objet ethnique (piquet d’un support nomade), acrylique sur-recyclé, lumières intégrées.
Rencontres et Répliques, détail, 2024. Dictionnaire de poche bilingue (ar-fr & fr-ar) et objet fabriqué en verre.