Denis McCready

Ce projet de recherche-création puise dans mon archive photographique constituée lors d’un voyage en Bosnie-Herzégovine d’après-guerre. En avril et mai 1996, j’ai séjourné à Bihać et Sarajevo. J’ai documenté le premier printemps de la paix à Sarajevo quelques semaines après la réintégration des quartiers occupés pendant le siège par l’armée autodésignée des Serbes de Bosnie. Au fil des années, ces images ont déclenché des discussions avec des résident·es qui m’ont confié spontanément leurs histoires personnelles. 


Je m’engage dans ce processus de recherche-création avec l’hypothèse que la photographie documentaire d’après-conflit peut jouer un rôle dans la récolte des mémoires collectives en agissant comme catalyseur de témoignages dans un contexte propice à la réflexion et au recueillement. 


À Sarajevo, l’absence d’une histoire officielle du siège qui fasse consensus en cette communauté multiculturelle donne un rôle essentiel aux récits personnels pour préserver la mémoire des événements, mais la majorité des survivant·es n’ont comme pratique narrative que la parole. C’est au cours de rencontres avec le Musée d’histoire de Bosnie-Herzégovine (MHBH) au printemps 2023 que nait l’intention de collaborer autour de ce projet d’histoire orale. À l’automne 2024, le MHBH à Sarajevo est le lieu de ma résidence de recherche-création et devient colégataire de l’intégralité du matériel créatif récolté. Mon dispositif consiste à utiliser plus de 260 images de 1996 pour éliciter un dialogue avec les témoins du siège de Sarajevo et son après-guerre. Nous développons ensuite les modalités de leur portrait à partir de la question : « Où aimerais-tu qu’on se souvienne de toi ? » Leurs portraits sont ancrés dans le présent et constituent de nouveaux souvenirs photographiques en ces lieux. 


Appuyé par une recherche théorique et un travail rétrospectif de mes écrits personnels, j’articule mon propos autour du concept photographique de présent antérieur. Je conjugue dans l’œuvre finale les témoignages des participant·es, leur portrait et mes photographies d’après-guerre en guise de contribution contemporaine à leur histoire collective. J’explore la mise en dialogue de mes images avec la population qui en est le sujet et l’élargissement de l’acte photographique pour inclure une agentivité partagée et une intendance sur leur usage futur (Azoulay 2012, 2024). Ce projet se veut aussi un effort pour dissiper la hantise tenace de la guerre à Sarajevo. 


Mon mémoire de maitrise s’inscrit comme une itération importante de mon engagement à long terme à Sarajevo. Outre deux voyages vidéographiques (1997, 2009), j’y suis retourné documenter en 2006 avec un appareil de pellicule moyen format, puis en 2019 en numérique, puis en 2022 en infrarouge numérique. Après 29 ans à documenter cette ville, j’ai l’intention de continuer jusqu’en 2046, constituant ainsi une documentation visuelle de l’évolution de la ville sur 50 ans. 


L’œuvre Prvo Proljeće/Premier printemps sera présentée au Centre d’expérimentation de la maitrise en arts visuels et médiatiques de l’UQAM (CDEx) en juin 2025. Je souhaite l’exposer aussi à Sarajevo au printemps 2026, en don à la communauté trente ans plus tard.


Mots clés de la pratique: Sarajevo, mémoire, hantise.

____________________________

Hall du Musée d’histoire de Bosnie-Herzégovine. Installation des images-catalyseurs. (2024)

Crédit photographique : Denis McCready


Scène de rue dans le quartier Skenderija, Sarajevo. (1996)

Crédit photographique : Denis McCready


Zijad, dans le quartier où il a passé la guerre. (2024)

Crédit photographique : Denis McCready